Søren Kierkegaard, le philosophe danois, en analysant le caractère transitoire des félicités de ce monde qui agitent le coeur de l'homme, montre que le repos sûr est celui accordé par Dieu. Il écrit: "Quand tu te sens fatigué par les changements humains, temporels et terrestres, fatigué de ta propre inconstance, tu arriveras à souhaiter un lieu où il faut reposer ta tête fatiguée, tes pensées fatiguées, ton coeur fatigué, un lieu de repos et de détente sûr. Oh, c'est dans l'immutabilité de Dieu que se trouve le repos!".
Les textes liturgiques de ce dimanche qui précède la fête du Christ-Roi, touchent les questions profondes de l'homme et de sa destinée. Comment vivre ce temps présent dans l'attente du Christ? Ces textes nous invitent à veiller et à relativiser ce monde qui passe, car le repos sûr est en Dieu qui nous a faits pour lui.
1. LE CARACTÈRE TRANSITOIRE DE CE MONDE.
Le Père de la théorie du changement dans la philosophie grecque est Eraclite d'Ephèse. En analysant en profondeur tout ce qui naît, grandit et périt, ce philosophe tire la conclusion que tout coule, tout passe (panta rei). Selon lui, ce qui échappe à la mutation est le feu (logos) qui est le père de toute chose. Eraclite contre Parménide, radicalise la loi du changement incessant des êtres, au point qu'on ne peut pas se baigner deux fois dans la même rivière. Par conséquent, sur le plan moral, Maurice Blondel suggère qu'il ne faut rien absolutiser dans ce monde en mutation en disant: "Il est nécessaire de ne pas s'arrêter", car le voyage est long qui porte à l'adéquation des êtres avec l'Être.
Saint Augustin dans sa lettre à Zenobio (386-387) affirme que "les choses que notre perception physique peut atteindre ne peuvent en aucun instant rester dans le même état. Elles passent, disparaissent et n'ont rien d'actuel (praesens nihil obtinere). Elles n'ont rien d'existence vraie"(Lettre 2,1).
Dans cette condition du changement incessant, saint Augustin conseille à l'homme de ne s'attacher qu'à l'Unique Nécessaire, en disant dans ses Confessions: "Oh mon âme, ne te perd pas derrière les vanités, ne laisse pas que ton coeur soit emporté par le tumulte de ces vanités. Écoute-toi aussi: le Verbe lui-même t'appelle, reviens. Près de lui est la tranquillité imperturbable. Près de lui est l'amour sûr qui n'abandonne personne, s'il n'est pas abandonné. Les choses de ce monde, les vanités passent, une après l'autre. Cela est la réalité de notre univers"(Conf. IV,11,16).
Les choses de ce monde "naissent, grandissent, atteignent leur perfection, puis commencent à vieillir, mais tous meurent"(IV, 10,15). Dans cette vie, "tout est incertain sauf la mort"(omnia incerta, certa mors). Qu'est-ce qui reste dans ce flux du changement?
2. L'AMOUR DE DIEU NE PASSE PAS.
"Seigneur, mon partage et ma coupe: de toi dépend mon sort". Cette invocation du Psaume 15 nous unit au Christ quand nous sommes menacés par les vagues et les vents dans notre embarquement vers le port de l'éternité. Jésus dit que ses paroles ne passeront pas, car il est la Parole éternelle du Dieu Vivant qui donne le sens des êtres. Par le Verbe fait chair, "Dieu nous apprends le chemin de la vie devant sa face, débordement de notre joie. À sa droite, éternité de délices"(Ps15). Le mouvement migratoire de tout ce qui n'est pas Dieu, aspire vers la libération.
C'est dans ce contexte que nous pouvons comprendre ce qu'il nous dit aujourd'hui: "Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père". Quelles sont les implications de cette parole dans notre existence soumise à la loi du changement? Tout passe, tout coule, mais l'amour de Dieu demeure à jamais. Vivons dans la vérité qui est la nourriture de l'esprit. Unissons la vérité avec la charité pour répandre la joie dans le monde. Que rien ne nous prive de la liberté vécue dans l'humilité pour construire la civilisation de l'amitié et de la fraternité universelle.
3. VIVRE DANS L'ATTENTE DU CHRIST
Pourquoi la parousie du Seigneur semble nous effrayer? Les idoles de ce monde nous attirent dans leur illusion. Ce qui est éphémère est préférable par rapport à la priorité envers le Royaume de Dieu et sa justice. Cependant, le fondement de notre joie se trouve dans notre attente à l'image de l'épouse qui attend le retour de son époux.
Souvent quand nous affrontons l'hiver de la vie, nous avons l'impression que Dieu est absent. Mais puisqu'il est à ma droite, je suis inébranlable (Ps15). La lettre aux Hébreux applique ce psaume au Christ qui, "après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s'est assis pour toujours à la droite de Dieu". Puisqu'il intercède pour nous, nous sommes inébranlables malgré les épreuves de la vie. Il est avec nous le Seigneur, "il ne peut pas nous abandonner à la mort, ni laisser ses amis voir la corruption"(Ps15).
L'attente du retour du Seigneur doit être joyeuse au milieu des tumultes de ce monde. Jésus dit à ses disciples: "Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier: dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l'été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l'homme est proche, à votre porte".
Comment attendre Jésus qui est à notre porte? Jésus ne nous enseigne pas "la fuga mundi", mais la vie authentique, simple et humble. La première lecture du livre de Daniel nous recommande le bon usage de l'intelligence pour qu'un jour "nous resplendissions comme les étoiles pour toujours et à jamais". Dans notre attente, nous avons le modèle à imiter: la Vierge Marie femme sans tâche, d'attente par excellence, de foi inébranlable, d'espérance et de charité parfaite. La prière nous empêche de sombrer dans la somnolence, la foi nous fortifie, l'espérance nous éclaire et la charité nous rend joyeux.
4. PRIÈRE D'ESPÉRANCE
Seigneur Jésus, c'est toi mon Seigneur. Sans toi, je n'ai aucun bien. Tu es à la droite du Père dans l'éternité, mais tu es avec nous dans ton corps mystique qu'est l'église. Tu ne peux pas nous abandonner, car tu ne peux pas t'abandonner toi-même. Donne-nous la force de résister aux tentations au moment où nous attendons ta venue, dans la gloire.
Accorde-nous le don de la sagesse, et de l'intelligence, pour contempler ta splendeur et défendre les victimes des injustices dans l'espérance de rayonner dans ton Royaume comme les étoiles du firmament, Amen.
Bon dimanche frères et soeurs.
Paix et joie dans nos coeurs et dans le monde.
Ton frère Abbé Ferdinand Nindorera