Dimanche dernier, Jésus avait nourri la foule du pain de sa parole. Aujourd'hui, il la nourrit du pain matériel en le multipliant. L'amour de Dieu transforme nos misères en une surabondance de grâce. J'aimerais orienter cette méditation sur la logique de l'amour dont le titre est "le calcul infinitesimal de la charité.
1. L'ARITMÉTIQUE DE LA CHARITÉ.
Le grand philosophe allemand Gottfried Wilhelm von Leibniz (1646-1716) par son bon usage de la raison, a eu l'intuition de poser l'hypothèse de la présence réelle du Christ dans un morceau de pain consacré. Partant du calcul infinitésimale de la matière, il s'est rendu compte que l'atome est divisible à l'infini et que par conséquent, chaque particule est "un empire dans l'empire" selon l'expression de Spinoza. Même Descartes avait constaté que le chiffre zéro est dépourvu de contenu, car il faut un chiffre symbolique à partir duquel on peut commencer à compter, pour ne pas se perdre dans l'infini. Leibniz tire la conclusion que l'infini est présent dans le fini et que rien n'empêcherait Dieu, auteur de l'harmonie préétablie, d'être présent dans une particule de pain. Ainsi, il n'est pas contradictoire que la totalité soit présente dans la partie, sans y être fondue encore moins confondue. Mais, comme il était protestant, Leibniz est resté sur l'hypothèse par peur de la condamnation. Ses mathématiques ont un caractère métaphysique et religieux.
Pourquoi ces considérations philosophiques dans cette méditation? La réponse est liée au thème principal de ce dimanche. La puissance divine opère la multiplication du pain pour nourrir la foule affamée à partir de presque rien. Là où le pain est rompu pour être partagé, il ne diminue pas, il augmente. L'aritmétique dans le calcul infinitesimale de la charité change de sens. La division devient partage, la multiplication vise l'unité des convives. Dans la loi de la charité, il y a la soustraction de l'égoisme et l'addition d'une chaise à table pour un inconnu, car la table eucharistique nous rend tous frères. Saint Paul dans la lettre aux Éphésiens nous le rappelle dans un admirable langage: Ayant un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, animés de la même espérance, nous sommes appelés à conduire d'une manière digne de notre vocation par l'humilité, la douceur, la patience, la supportation mutuelle avec amour.
2. ON MANGE, ET IL EN RESTERA.
Dans un monde marqué par l'égoisme, la cupidité, la corruption, il n'y a pas de pain suffisant pour tous, car le surplus est concentré dans la minorité avide, tandis que la majorité manque le minimum nécessaire pour survivre. Par contre, l'expérience du prophète Elisée nous démontre que là où le pain sera partagé, on mangera, et il en restera. Le pain est le symbole de la générosité. On ne rompt pas le pain pour le manger seul. Partager le pain à ceux qui n'en ont pas est perpétuer le geste du Christ qui rassasie la foule affamée. Dans la logique de la charité, il n'y a pas de pauvre qui n'a rien à donner. Dans la communauté où on partage du pain, "on mangera, et il en restera".
3. LES LIMITES DES CALCULS HUMAINS ET LA PUISSANCE DE LA GRÂCE.
Dans l'Évangile, les disciples voient l'impossibilité de rassasier la foule en proposant des solutions faciles, factices, échappatoires pour contourner le problème. Philippe, dont le nom signifie "amoureux du cheval", "l'homme du divertissement", prend la question à la légère. Pour lui, il faut renvoyer la foule à la maison, car même le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un morceau de pain. Philippe représente le système économique d'aujourd'hui qui voit la crise économique un peu partout afin de justifier l'indifférence envers les pauvres. Le second qui intervient est André. Le nom André signifie "virilité" dans le sens de maturité spirituelle. Sa solution est plus réfléchie que celle de Philippe, même si elle est teintée du pessimisme
. Il dit:" il y a là un jeune qui a cinq pains d'orge et deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de monde"! Il ne sait pas encore que la puissance secrète de la grâce divine transforme notre rien donné par amour en une surabondance de biens. Cependant, l'action grandiose de Dieu a besoin des ingrédiens humains. Saint Augustin disait que Dieu nous a créés sans nous, mais ne nous sauvera pas sans nous (Qui fecit te sine te, non salvabit te sine te). Ce miracle se perpétue jusqu'à la fin des temps, dans le mystère eucharistique. Le Christ est le canal de la puissance de la grâce divine. Là où la communauté est rassemblée pour la fraction du pain, le royaume de Dieu descend. Le pain eucharistique est la condition pour l'édification de la civilisation de la charité et l'unité du genre humain.
4. PRIÈRE
Dieu Père, Fils et Esprit Saint. Tes attributs sont infinis. Tu es Bonté, Beauté, Vérité, Miséricorde, Justice, Harmonie, Providence, Volonté voulante, Nature naturante (...). Mais ton nom propre est Amour. Que la chaleur de ton amour vienne fondre la glace de notre coeur, pour rendre disponibile aux nécessiteux les biens que ta bonté nous a donnés. Rends-nous comme cet homme qui offre à ton serviteur Élisée les prémices de sa récolte et comme ce jeune qui disponibilise ses cinq pains et deux poissons pour participer à rendre le miracle possible. Nous te rendons grâce au notre Père, amen.
Bon dimanche frères et soeurs
Paix et joie dans nos coeurs et dans le monde.
Ton frère Abbé Ferdinand Nindorera